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Corps & Canevas

Depuis plus de 20 ans, le travail de Pascale Lander a pour thème principal la représentation du corps féminin. Femme, l’artiste pose sur ses modèles un regard où chercherait à s’exprimer tout à la fois l’immanence et le mystère de la féminité.
En 2012, dans sa série Corps & Canevas, l’artiste transgresse la pratique qui, jusque là, fut sienne. Par une décision radicale, elle déplace l’acte de peindre de la surface de la toile à la peau du modèle. Au sens strict et littéral du terme, l’artiste “peint” son modèle, s’en empare, en fait l’objet vivant de son art. Au terme de cet acte, Pascale Lander photographie le corps du modèle recouvert de peinture.
Les images qui en résultent nous fascinent, car elles relatent, à notre insu, l’histoire d’un temps en amont de l’histoire. Elles sont la résurgence de figures très anciennes, inscrites en nous, mais dont nous avons, depuis longtemps, perdu la mémoire. Les corps des modèles, maquillés de peinture, semblent là pour raviver ce temps immémorial où la cosmétique n’était pas un acte ornemental et gratuit, soumis aux caprices de la mode.
Elle était alors cette pratique sacrée par laquelle les hommes ornaient leur corps de signes et de symboles à l’image du ciel. Le corps peint à l’image des configurations astrales transformait l’humain en figure des mystères célestes.
Il nous faut alors comprendre les photographies de Pascale Lander comme la réminiscence de ces gestes et pratiques de l’humanité la plus ancienne. L’intimité entre le peintre et son modèle, offerte à travers les photographies, nous livre bien plus qu’un rapport psychologique entre deux personnes. L’image produite renoue avec ce qui, profondément ancré et enfoui dans nos strates mémorielles les plus profondes, nous rappelle comment les humains que nous sommes se sont originairement constitués dans leur être et leur rapport au monde, dans ce substrat de connaissance, d’expérience et de magie où l’être s’énonce dans sa complexité.

Jean-Claude Monnier

Pascale Lander, féminité de la peinture / peinture de la féminité

Pascale Lander peint des corps. Elle les peint dans la double acception du terme : elle les représente en peinture, ou elle recouvre de pigments le corps de ses modèles. L’incarnat et la peau. Révélés ou camouflés, les attributs de la féminité s’imposent dans l’immanence de la peau et les mystères de la chair.

La peinture de Pascale Lander est d’abord affaire de souveraineté. La gestuelle de l’artiste impose son ampleur, sa générosité. Dans la série des Alcôves, elle macule les corps, et rend indissociables les figures et les fonds. Jaillis de la materia prima, les fragments de corps prennent chair.

Dans Corps & Canevas, en passant d’une pratique conventionnelle – la peinture – à un processus singulier – le maquillage des corps – Pascale Lander nous fait comprendre que son œuvre échappe au genre dans lequel un regard trop rapide ou distrait aurait pu trop facilement la reléguer : le nu féminin, et ses figures aujourd’hui monotones, héritage lointain et désincarné de la figuration classique.

Aujourd’hui, l’œuvre de Pascale Lander s’enrichit d’un entrecroisement des pratiques : peinture, performance et photographie, expérimentations touchant aux domaines de la gravure et de la sculpture. Quel que soit le medium dont l’artiste fait choix, la thématique demeure inchangée. Il est toujours question de corps et de féminité, de sensualité et d’affect déclinés selon les moyens propres à chaque processus, chaque technique. Ce qui peut conduire à penser que le propos, au fond, reste radicalement celui de la peinture, de la picturalité comme présence et comme peau : un affleurement, de la surface de la toile à la peau des modèles, du grain de la gravure à la surface tactile des terres cuites qui, loin de transcrire la surface de l’être, nous en désigne l’intériorité, la profondeur.

Ainsi que l’avait déjà noté Tériade : “La peinture n’a que sa peau, une peau qui ne la couvre pas, comme elle voudrait le faire croire, mais une peau qui la fait elle-même entièrement. La peau de la peinture a la saveur d’une peau humaine.”
“La peau de la peinture”, article paru dans Le Minotaure n°7, Juin 1935.

Jean-Claude Monnier 3 mai 2015